Dans « (B) », la force des boxeurs et l’art des danseurs
La Villette (festival 100 %) et le Centquatre-Paris (festival Séquence Danse) accueillent (B) de Koen Augustijnen, spectacle aussi inénarrable que son titre est succinct. Sept danseurs et trois boxeurs, dont un champion du monde, créent une détonante revue burlesque, rythmique, tendre, ironique ou archaïque, qui tient en haleine de bout en bout.
Koen Augustijnen fait partie des chorégraphes flamands qu’on pourrait qualifier de « fauves », comme Wim Vandekeybus ou Alain Platel. C’est par ailleurs dans l’écurie de Platel, les fameux Ballets C. de la B., que Augustijnen a fait ses premiers pas, avant de créer plusieurs spectacles dans l’esprit d’un certain Sidi Larbi Cherkaoui. Aujourd’hui, il dirige la Siamese Company, créée avec Rosalba Torres Guerrero. Ensemble, ils viennent de créer (B), une sorte de cabaret dramatique, dansé, boxé et chanté.
Pour la première fois, des boxeurs dans un spectacle de danse
(B) comme « boxe », mais aussi comme « Belgique ». Si certains chorégraphes, européens et américains, se sont inspirés de combats légendaires et de grands noms de la boxe, Koen Augustijnen et Rosalba Torres Guerrero sont les premiers à inviter d’authentiques boxeurs professionnels, dont un champion du monde de boxe thaï, à participer à un spectacle chorégraphique. Le face-à-face est éclairant. Dans l’attitude de combat, le boxeur boxe. Le danseur interprète et décline, introduit les sauts et la verticale. Et pourtant, le boxeur possède son propre registre chorégraphique.
Ce que la sueur ne dit pas…
Lors du combat, la sueur du gladiateur coule sur la peau réfléchissante, devant un public échauffé. Mais quand la boxe devient un sujet pour la danse, la sueur et la douleur s’absentent au profit de représentations symboliques. L’échelle des valeurs s’inverse. Car la danse s’intéresse à ce que les athlètes s’empressent de cacher, à tout ce qu’ils ne peuvent laisser transparaître en affrontant l’adversaire : leurs doutes, leurs peurs, leur fragilité intérieure…
Tout est dans le rythme
Seul le boxeur possède un corps aux proportions qui sonnent juste quand les mains chaussent les gants, quand le buste se penche en avant et les mains protègent le visage pour éviter les uppercuts. Les sept danseurs, ici presque les sept nains de Blanche Neige, arborent moins de paquets de muscles, mais possèdent d’autant plus de possibilités kinésiques. Les différences sautent à l’œil. Et pourtant, le terrain de rencontre est vite trouvé : c’est le rythme, dans un rapport vibrant à la mythologie. Les chorégraphes citent Sugar Ray Robinson : « Le rythme est tout en boxe. Chaque mouvement commence par le cœur, et si le rythme n’y est pas, tu as un problème. »
Du sacré au sauvage
Sophia Rodriguez, l’une des deux danseuses de (B), ouvre le bal avec un puissant chant en sanskrit, invocation de la force des guerriers et du soutien des dieux. Le sifflement des cordes à sauter ajoute à l’intensité du rituel et invite au passage vers l’autre monde. Au fond, un énorme écran zoome sur les visages, miroirs des émotions les plus intimes. Le bandage des mains devient un acte sacré alors que, sur les côtés, le rythme des poings tapant dans les sacs de boxe crée le pont entre salle d’entraînement et rituel.
(B), alphabète de la boxe
(B) est un spectacle puissant qui révèle tout ce que la boxe tente de nous cacher. Car une boxe peut en cacher une autre. Dans (B), c’est son alphabet entier qui se dévoile. La sauvagerie des instincts carnassiers, le rapport entre hommes et femmes, le burlesque, le machisme et sa face cachée, le voyeurisme du public, la difficulté à passer à l’acte ou encore sa dimension archaïque. Dans la seconde partie, plus humoristique, les tableaux se déclinent en film muet, en tango et en drame sentimental, avant de revenir à des thèmes plus dramatiques voire sanguinaires, mais toujours avec la distance nécessaire pour éviter le dégoût et assurer le sourire.
Thomas Hahn
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